L’IA pour traquer les fuites de méthane

Quand je lis ce genre de titre, je suis d’abord intéressée par la technique « mais comment fait l’intelligence artificielle pour détecter les fuites de méthane avec les satellites ? » et puis je me demande à quoi ça sert, pourquoi c’est important, avant de commencer à chercher plein d’infos et de données sur le méthane et sa détection pour réduire les fuites. Le résultat (en ordre inversé), c’est cet article 😀

Méthane = un problème environnemental ?

Les niveaux de méthane dans l’atmosphère sont plus élevés que jamais en 800 000 ans (source IPCC « Climate change 2023« ). Ok. Une fois qu’on a dit ça, pourquoi c’est un problème ? Si on parle beaucoup du CO², le méthane est l’autre gaz qui contribue fortement au réchauffement climatique. C’est en effet un gaz à effet de serre encore plus puissant que le CO² même s’il reste moins longtemps stocké dans l’atmosphère.

Il a été découvert à la fin du 18ème siècle par Alessandro Volta (oui, celui qui a inventé la pile électrique) alors qu’il étudiait ce gaz inflammable dans des marécages. Le méthane, c’est 1 atome de carbone et 4 atomes d’hydrogène (CH4) et il apparaît quand des matières organiques se dégradent dans un milieu sans oxygène par l’action de la pression, de bactéries méthanogènes ou de la température.

Et si quand on entend « méthane » on pense « pet de vache », on oublie que le gaz naturel contient jusqu’à 90% de méthane. Vu que c’est la 3ème source d’énergie au niveau mondial, c’est loin d’être anodin. Ainsi, le méthane produit et dépensé par les humains représente 60% des émissions de méthane, alors que les vaches et les marécages (et le reste) représentent les 40% naturels restants. D’ailleurs, la plus grande partie du méthane rejeté provient des zones humides (ex : cultures inondées comme le riz) >>

Et comme si ça ne suffisait pas, le méthane augmente l’effet de serre de l’ozone

Fact-checking : pourquoi on accuse les vaches ?

Soyons justes, on devrait accuser tous les ruminants (chèvres, moutons, girafes…) mais il se trouve qu’on partage la planète avec un milliard et demi de vaches qui produisent 250 à 500 litres de méthane chaque jour. Et pour info, c’est plus en rotant qu’en faisant des pets qu’elles émettent du méthane. La bonne nouvelle, c’est que les scientifiques ne manquent pas d’idées pour que nos vaches produisent moins de méthane et ça passe principalement parce ce qu’elles mangent. Par exemple, les belges ont obtenu une baisse de 8 à 10% en ajoutant de la drêche de bière (un rebut du brassage) et de farine de colza à la nourriture des bovins. Au Canada, ils testent avec des algues mais pour l’instant les vaches ne sont pas fans de leur goût salé. Quant aux Ecossais, ils étudient l’efficacité d’un extrait chimique de jonquilles appelé hémanthamine a priori prometteur. Et n’oublions pas les Danois qui utilisent la génétique pour sélectionner les races de vaches produisant moins de méthane (-5%)… La solution la plus efficace serait bien sûr d’en élever moins donc de manger moins de viande bovine et de lait. Bref, les vaches et leurs copines ruminantes, coupables involontaires mais peut-être pas pour toujours ?

Chef, on a des fuites partout là !

Ce n’est pas vraiment un secret dans l’industrie du gaz et du pétrole : des fuites massives aussi appelées « super-émissions » ont lieu dans des champs pétroliers et gaziers du monde entier mais les industriels ne s’en vantent pas bien sûr. Le méthane peut s’échapper lors du forage, de la production et d’autres opérations dont des dégazages de sécurité.

Heureusement, les satellites, dont certains de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et de la NASA, peuvent les détecter même si le méthane est incolore et inodore. Les Nations Unies ont d’ailleurs lancé l’Observatoire international des émissions de méthane (IMEO) en 2021 (lire le rapport 2023). Son but est notamment d’ouvrir les données concernant ces émissions, par exemple sur ce site : https://methanedata.azurewebsites.net/plumemap?mars=true où on peut voir sur la carte les émissions issues du pétrole, du gaz, des déchets et du charbon.

Et l’intelligence artificielle dans tout ça ?

Si les satellites permettent de collecter beaucoup de données et de surveiller les super-émissions de méthane, traiter un tel amas de données n’est pas facile, surtout quand il s’agit de données non-structurées comme des images ou des vidéos.

C’est là que l’entreprise française Kayrros intervient. Elle reçoit les données de 9 satellites qui envoient des images de la Terre de quelques fois par semaine à plusieurs fois par heure, avec des résolutions plus ou moins grandes. Comme le dit Alexis Groshenry, data scientist chez eux, « on essaie de travailler avec toutes les sources disponibles pour vraiment essayer de densifier la surveillance [… mais] on ne peut pas simplement pas regarder toutes les images » (source).

Du coup, ils développent des modèles d’IA deep learning à qui ils apprennent à reconnaître, à partir de milliards de données, les différents panaches de méthane. Fait intéressant, ils créent des jeux de fausses données simulant de nombreux types d’émissions pour entraîner les modèles, puis les testent sur de vraies fuites de méthane. Kayrros envoie ensuite ses données auprès d’organismes comme l’ONU, la Commission Européenne, des pays comme la France, les Etats-Unis ou l’Arabie Saoudite, des administrations comme l’IGN en France via Datalliance et des acteurs de l’énergie mais aussi à des gestionnaires de fonds qui en ont besoin pour évaluer le risque climatique de leurs investissements.

On en arrive à la carte qui m’a donné envie d’écrire cet article et mise en ligne par Kayrros : https://methanewatch.kayrros.com/map

Vous verrez en haut des fonctionnalités payantes donc là on n’a accès qu’à quelques infos. Je recommande le additional data « Pipelines » en haut qui montre le réseau des gazoducs et oléoducs en transparence. La timeline en bas permet aussi de voyager dans le temps.

De son côté, Google prépare le lancement d’un satellite dopé à l’IA et appelé MethaneSAT, en partenariat avec un fonds de développement environnemental américain, pour cartographier plus finement les émissions de méthane (avec Google Earth comme plateforme cartographique et Earth Engine pour les jeux de données). Cet article du 14 février 2024 l’annonce pour « bientôt », plus qu’à attendre donc 🙂

Conclusion : l’IA alliée de l’écologie ?

Qu’il s’agisse de repérer les feux de forêt (algorithme Pyronear) ou des fuites de méthane avec système d’alerte aux personnes concernées (dirigeants mais aussi actionnaires), l’intelligence artificielle peut être une véritable alliée dans le traitement de la donnée environnementale. C’est un dilemme que seule l’IA peut aujourd’hui aider à résoudre : pour agir, nous avons besoin de beaucoup beaucoup mais alors beaucoup de données sur notre environnement, des données structurées ou non, en temps réel ou non, etc. Or, à moins de dédier 10 générations d’humains à leur analyse, seuls des algorithmes peuvent traiter autant de données. De plus, il peut exister des partenariats privé-public très efficaces comme dans le cas de Kayrros. Il s’agit donc d’un exemple allant à contre-courant de l’opinion « IA = serveurs, énergie, écocide, intérêts privés » mais ce n’est qu’un exemple. On devrait bien sûr aller vers une IA plus sobre et même, pourquoi pas, réservée à des choses plus utiles (comme ici) que de créer des deepfakes.

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