Espoirs portés par la LOW-TECH

Depuis plusieurs années, je suis attentivement le développement du mouvement low-tech en France et dans le monde. Cela me fait penser à cette période encore récente où de nombreux fablabs ouvraient partout en France et il y a bien des points communs entre ces deux mouvements.

Mais d’abord, c’est quoi la low tech en fait ?

Beaucoup de personnes proposent des définitions différentes, souvent intéressantes. Je vous propose ma définition de la low-tech en toute humilité et avec l’envie d’en discuter avec qui veut :

La « low-tech » est d’abord un état d’esprit incitant à FAIRE DIFFÉREMMENT et à créer des solutions DURABLES (le moins de ressources possible, le moins d’énergie fossile possible…), ACCESSIBLES à tous (documentation open source, réutilisation de produits très communs au lieu de les jeter, sans trop de compétences techniques), et UTILES pour résoudre des problèmes du quotidien (cuisiner, se chauffer, se déplacer, etc.).

Et oui, je l’affirme haut et fort : résoudre un problème collectivement en bricolant, en recyclant, en expérimentant, c’est juste grisant et addictif !

J’irais jusqu’à dire que c’est un effort collectif pour être plus malins ensemble. Ca peut paraître aller dans le sens inverse de notre époque qui aurait plutôt tendance à chercher la solution facile, vendue dans le commerce, fabriquée à l’autre bout du monde, pour l’utiliser seul.e chez soi sans se poser de question. Personnellement, j’y vois un merveilleux outil d’émancipation et de résilience mais j’y reviendrai.

Low-tech versus High-tech ?

Non, la low tech ne s’oppose pas forcément à la high-tech, et penser en termes de « high-tech polluant et énergivore / low-tech durable et écologique » n’est ni objectif ni constructif. D’ailleurs, certaines solutions low-tech détournent des produits hi-tech, comme par exemple la création d’une éolienne en récupérant un moteur pas-à-pas d’imprimante. Bien sûr qu’en cas de problème de santé, on souhaitera pouvoir passer un scanner hi-tech, être opéré dans un bloc bien équipé, etc. Il s’agit plus de se questionner sur l’utilité de certains produits hi-tech et sur leur durabilité, pas tant en termes d’empreinte carbone qu’en termes de « combien de temps pourrons-nous encore en produire et en utiliser ? ».

Prenons un objet que je connais bien, le smartphone, un objet éminemment non-durable : stock limité de ressources pour les fabriquer (terres rares, cobalt, tantale, lithium, etc.) et qui génèrent des tensions géopolitiques, obsolescence programmée technique et marketing, difficulté de réparation, disponibilité des pièces, etc. En se questionnant, on se demandera aussi si l’hyper demande d’attention que le smartphone génère (notifications, fomo, etc.) est durable pour notre santé mentale. Faut-il pour autant ne pas avoir de smartphone ou encore revenir au Nokia à clapet ? Pas forcément. En revanche, expérimenter pour cerner les fonctionnalités absolument nécessaires et créer un smartphone réparable, mis à jour pendant plus de 10 ans, voir améliorable par l’ajout de blocs pour éviter de changer tout l’appareil, c’est typiquement une démarche low-tech+hi-tech et c’est ce que Fairphone tente de faire depuis des années (avec difficulté).

Finalement, est-ce que la low-tech ne tenterait pas de stopper certaines fuites en avant ?

Low-tech et fablabs

Pour avoir eu la chance de travailler dans un fablab, on retrouve cette volonté commune de démocratiser des solutions, de mettre en commun des outils (qu’il s’agisse d’outils créatifs de fabrication numérique comme l’imprimante 3D ou la découpe laser, ou d’outils durables fabriqués grâce à la créativité collective) et d’émanciper des citoyens qui découvrent parfois leur capacité à faire. Participer à des expériences low-tech ou à un fablab revient à se réapproprier certaines techniques pour atteindre ensemble un résultat le plus satisfaisant possible. Et nous sommes tous et toutes légitimes à faire autrement, rien ne nous empêche d’essayer.

Et j’en profite ici pour encourager les fablabs et les tiers-lieux low-tech à se croiser, à s’unir, où qu’ils soient car de nombreuses synergies devraient naturellement naître. Par exemple, j’ai vu une solution low-tech/fablab pour transformer des bouteilles plastique en filament pour impression 3D.

Pour moi, la conjonction low-tech + fablabs correspond vraiment à ce que Ivan Illich appelait de ses vœux : une société future moderne mais pas dominée par l’industrie (toujours plus de produits dont on devient esclaves) et l’expertise de quelques-uns (se réapproprier l’outil de production). C’est la fabrique rêvée des outils conviviaux.

Low-tech ou slow-tech ?

On peut avoir l’impression, de l’extérieur, que la low-tech célèbre des techniques du passé. Après tout, qu’est-ce qu’il y a de plus facile que de pousser un bouton pour que la lessive se fasse toute seule ? On ne va tout de même pas retourner faire la lessive au lavoir communal ! Bon, même si on devait croiser des habitants sympas au lavoir, je suis d’accord que la machine à laver c’est pratique. En revanche, c’est un appareil électro-ménager qui consomme beaucoup d’électricité et d’eau. Or, il existe plusieurs solutions low-tech permettant, par exemple, de faire sa lessive en faisant un peu de sport (plutôt que de payer un abonnement à la salle de muscu’ du coin). On peut même faire son propre produit lessive avec du lierre.

De la même manière, les appareils de cuisson sont extrêmement gourmands en électricité (fours, fours à micro-ondes, plaques, bouilloire…). Il ne s’agit pas, là aussi, de revenir au four à bois traditionnel car si tout le monde le faisait, ce serait le bois qui viendrait vite à manquer. En revanche, optimiser une cuisson en la limitant au minimum et en la laissant continuer dans une marmite norvégienne ou dans un thermos, c’est malin ! De même, s’il y a du soleil pour le déjeuner familial du weekend, pourquoi ne pas bricoler rapidement un four solaire et laisser le soleil faire le job (oui, c’est plus long mais économe) ?

L’objectif n’est donc pas de ralentir et de se donner plus de peine mais bien de tester des solutions moins énergivores et gourmandes en ressources. Cela me fait penser à la permaculture où on retrouve cette volonté de faire avec moins (moins d’engrais, moins d’eau…), avec autant d’huile de coude (oui on désherbe à la main mais on ne travaille pas le sol) et où il y a plein de techniques et de solutions low-tech à utiliser : culture en demi-lunes sur sols arides, pièges à vent, récupération des eaux de pluie, olas en terre cuite, canards pour manger les limaces, etc. Je trouve la démarche très proche.

Low-tech généralisée et résilience

Pour l’instant, j’ai l’impression que la low-tech a du mal à sortir des tiers-lieux pour se généraliser dans des filières entières mais c’est en cours. J’ai vu passer plusieurs appels à projet pour intégrer la low-tech au secteur de l’habitat, par exemple, ou dans les parcours de formation des ingénieurs. La Bretagne semble avoir de l’avance sur les tiers-lieux et les expérimentations. Tout comme il a fallu pas mal de temps pour que l’impression 3D pousse les portes de l’industrie pour prototyper toute sorte de produits ou créer des pièces de remplacement sur des machines, la low-tech est sur le même sentier et heureusement, ses avocat.es ne manquent pas mais attention ! Je pense qu’il s’agit moins de généraliser les solutions low-tech (quoique une douche brumisatrice dans chaque foyer ou un chauffage ardoise, ce serait pas mal) que la démarche d’innovation participative durable.

En ce qui me concerne, je crois fermement à l’argument de la résilience, à cette obligation de s’adapter à de nouvelles situations en les ayant prévues un minimum plutôt qu’en les subissant. De très nombreux scénarios pourraient devenir réalité demain, des plus sûrs (réchauffement climatique, disponibilité de l’eau potable…) aux moins sûrs mais néanmoins toujours possibles (fin de l’approvisionnement en terres rares chinoises, éruption solaire et coupure générale d’électricité sur un territoire, cyberguerre et génération d’effets EMP, catastrophe liée aux déchets spatiaux entraînant la destruction en cascade de satellites donc des GPS, d’Internet en partie, etc.).

Il est donc logique et urgent de s’entraîner à réfléchir autrement, d’encourager l’innovation participative partout dans toutes les filières et dans les lieux de rencontre habituels, afin de pouvoir imaginer des solutions low-tech à des problèmes locaux. Entre autres. Oui, entre autres, parce que la démarche low-tech est complémentaire à la recherche de la sobriété énergétique (amélioration de l’isolation des bâtiments, etc.), au développement d’énergies renouvelables, à l’indépendance dans certains secteurs industriels clés (panneaux solaires, batteries, etc), etc.

La low-tech est donc, au même titre que ces autres projets, à la recherche d’une activation par le politique. Le passage à l’échelle ne pourra survenir que grâce à une politique volontaire en faveur de la démarche low-tech. Autre nécessité, comme pour l’écologie en général : raconter des futurs souhaitables où la low-tech est intégrée au quotidien (l’équivalent du mouvement artistique solarpunk, comme illustré ci-dessous, mais en low-tech ?), ce qui est un grand chantier très excitant pour moi 😀

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