Comme quoi, il faut toujours se laisser aller à la curiosité. Quelqu’un a suivi mon compte Linkedin aujourd’hui et comme il y avait « cyno » dans son métier (=chien), j’ai voulu jeter un coup d’œil et je suis tombée sur une vidéo passionnante sur la détection des fuites d’eau sur le réseau français.
30% de l’eau potable qui arrive dans nos robinets est perdue dans les fuites du réseau, soit 1000 milliards de litres d’eau chaque année (1 milliards m3) !
Emission Verso 09/01/2025 – Veolia
Je suppose que je n’ai pas besoin de vous rappeler combien l’eau douce et l’eau potable sont des ressources précieuses et combien elles le seront de plus en plus à l’avenir. Autant dire que le sujet des fuites d’eau est majeur !
Des fuites d’eau sur 900 000 km de tuyaux
Le réseau Français de distribution d’eau est gigantesque, sa longueur correspond à 22 fois le tour de la Terre. Pour la plus grande partie, il est constitué de tuyaux en PVC ou en fonte posés avant 1990. Certaines conduites en acier remontent à avant 1945. Alors, si quelques fuites sont faciles à repérer quand l’eau sort de terre, la plupart sont sous terre et invisibles à l’œil nu. Les principales causes des fuites sont la corrosion (extérieure et intérieure) des conduites, les terrains qui se déforment ou se tassent, l’usure des joints entre les canalisations, etc.
Actuellement, on ne rénove que 0,7% du réseau chaque année…

Chasser les fuites d’eau avec les chiens renifleurs
On fait alors appel à un « cynotechnicien ». Comme l’eau que nous utilisons contient du chlore (pour la nettoyer), c’est son odeur qu’on va utiliser pour repérer les fuites d’eau. Les chiens sont entraînés à repérer l’odeur du chlore sur leur jouet préféré et effectuent ensuite cette tâche par jeu pour trouver l’eau chlorée qui s’échapperait dans la terre via une fuite.

Dans la vidéo, le cynotechnicien affirme que ces chiens renifleurs ont pu repérer 90% des fuites connues sur le réseau et surtout en identifier bien d’autres inconnues.
Chasser les fuites d’eau grâce à l’IA
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne manque pas d’outils pour surveiller le sous-sol (cf. bonus au bas de cet article) : compteurs intelligents, capteurs, débimètres (qui repèrent les baisses de débit) mais aussi des images satellites ultra précises, etc. Tout cela génère des données, très nombreuses et hétérogènes, sur notre réseau de distribution d’eau. Dans le reportage, ils parlent d’un million de compteurs connectés et de 100 000 capteurs de recherche de fuites.
Or, quoi de mieux aujourd’hui pour traiter de très larges ensembles de données (datasets) qu’un algorithme d’intelligence artificielle à qui on apprendrait à reconnaître les fuites dans ce magma de data (algorithme de classification) ou même à prédire les futures fuites (algorithme de régression) ?
Les startups (comme Leakmited ou Shayp) se sont engouffrées dans la brèche avec chacune leur algorithme dernier cri et les collectivités locales (qui ont la charge du maintien du réseau) y font de plus en plus appel. Souvenez-vous, suite à la sécheresse de l’été 2022, le gouvernement d’Emmanuel Macron avait lancé le Plan Eau visant à réduire la consommation de 10% en France d’ici à 2030 et aussi à optimiser son utilisation donc à réduire les fuites (ou à la réutiliser comme avec le projet Jourdain en Vendée). Il devait aussi permettre d’améliorer sa qualité en s’attaquant aux pollutions (hum… passons, je laisse aux Echos le soin du bilan en demi-teinte). Le plan de relance France 2030 inclut logiquement un volet pour soutenir ce genre de startups innovantes.
J’aimerais qu’on se pose une seconde pour envisager tout ce qu’on pourrait faire avec autant de data et d’IA :
- Repérer les fuites et les réparer, ok
- Prévenir certaines fuites en repérant les faiblesses du réseau et en analysant l’historique et les probabilités de fuite (maintenance prédictive)
- Cartographier, en lien avec la data publique du BRGM (service géologique national) ou d’autres organismes, la nature des sols et comment elle influe sur le réseau
- Générer des plannings de travaux de rénovation du réseau ayant un impact minimal sur la vie de la cité et de ses habitants, tout en priorisant les fameux « points noirs » (plus de 50% d’eau perdue) et en préparant la rénovation sur le temps long puisque les canalisations ont une durée de vie comprise entre 50 et 80 ans. On pourrait même se faire conseiller pour optimiser les investissements nécessaires.
- Rendre l’analyse hyper rapide et pouvoir traiter les fuites quasiment en temps réel plutôt que d’attendre qu’elles soient découvertes des jours, des semaines, des mois après.
- En profiter pour analyser plus finement la consommation de chacun et faire des courbes d’offre et de demande réalistes avec les données sur les réserves des bassins hydrauliques
- Rendre la détection grand public en couplant un peu d’IA générative pour qu’on puisse « discuter » avec son compteur ou, à tout le moins, recevoir une alerte SMS quand une fuite apparaît, avec sa localisation et le numéro d’urgence à contacter bien sûr 😀
- Analyser les risques de fuite forts ou faibles selon les bâtiments afin de réduire ou d’augmenter les coûts de leurs assurances (oui, là ça commence à grincer des dents, hein ?) ou encore comme élément d’information obligatoire lors d’une vente (à côté du diagnostic énergétique, le diagnostic des tuyaux ? :))
- Vous allez dire que je vois tout en noir (ce qui n’est pas vrai) mais on pourrait aussi imaginer que l’IA soit « mal » utilisée par des gens qui, par exemple, prioriseraient la rénovation du réseau dans certains quartiers au détriment d’autres, ou encore mettraient en place un système de « crédit social » (social scoring) basé sur la consommation d’eau, ou encore utiliseraient la coupure d’eau comme moyen de contrôle social… Netflix, n’écoutez pas sinon vous allez nous faire des films d’anticipation dessus héhé.
Plus sérieusement, on ne peut pas nier quand même que l’utilisation massive de technologies augmente la vulnérabilité aux cyberattaques et pose un risque de défaillance certain. C’est pourquoi elles sont utilisées [jusqu’à présent] en complément des recherches humaines (et canines) de fuites. - Faire bosser ces formidables IAs qui inventent des matériaux (article de Geo) sur une solution vraiment innovante comme, je ne sais pas moi, une sorte de matière coagulante qui serait transportée par le réseau et irait boucher les fissures toute seule… ok là on se lance dans des trucs 😀
Pour conclure, ajoutons qu’en Europe, en moyenne, les fuites représentent 23% d’eau du réseau qui s’échappe… A 30% en France, la vidéo conclut qu’on n’est pas si mal… Mais, pardon ? Sont-ils en train de nous dire que la France, 2ème puissance d’Europe, serait 7 points au-dessus de la moyenne et qu’il n’y aurait pas de problème ? Ahhh pour taper sur les écologistes qui essaient de protéger l’eau de la privatisation (bassines, etc.), là y a du monde, mais quand il s’agit d’aligner les moyens pour rénover la distribution de l’élément n°1 indispensable à notre survie, c’est autre chose. Oups, j’ai failli m’énerver, désolée, mais aussi… les moyens techniques existent, ils sont nombreux et efficaces, y a plus qu’à !
Astuce : Vous l’ignorez peut-être mais depuis quelques années, le Code général des collectivités territoriales (art. L.2224-12-4 III bis) oblige le service d’eau potable local à vous informer sans délai dès qu’il constate une augmentation anormale du volume d’eau que vous consommez (plus du double). Et si vous présentez au service d’eau la facture du plombier qui est intervenu moins d’un mois après que vous ayez été prévenu, vous ne paierez pas ce qui excède le double de votre consommation sur une période comparable ou, à défaut, le volume moyen d’eau consommé par un abonné dans une situation comparable à la vôtre. C’est bon à savoir !!!
La vidéo de Veolia (par ailleurs très pédagogique et bien faite) :
BONUS pour ceux et celles que ça intéresse
Autres manières de chasser les fuites d’eau
La sonde acoustique
Un peu plus classique et ancienne, cette technique impliquer d’écouter les canalisations au casque avec un micro en direct ou un capteur installé et « d’entendre la fuite ». Cependant, elle a ses limites car il faut un environnement suffisamment calme pour pouvoir entendre les fuites. Par exemple, à Paris, des capteurs acoustiques sont installés et paramétrés pour enregistrer le son des canalisations entre 2 et 3H du matin pour limiter les bruits parasites.

Si ça vous intéresse, il y a une vidéo sur Eau de Paris ici :
https://www.youtube.com/watch?v=b2aLAoRe8a4
Le gaz traceur
Ils ne font que le mentionner dans la vidéo mais du coup, j’étais obligée d’aller regarder ce que c’est. Cette méthode permet de repérer où se trouvent la ou les fuites sans tout déblayer, bref sans toucher aux infrastructures. Le technicien introduit un gaz composé d’hydrogène et d’azote dans la conduite préalablement vidée et il utilise ensuite un détecteur de ce gaz.
La caméra
Pour confirmer la fuite, les techniciens peuvent utiliser une caméra endoscopique, c’est-à-dire un long câble avec une petite caméra au bout qu’ils glissent dans la canalisation pour en filmer l’intérieur. Cela permet aussi de repérer des fissures ou une conduite aplatie ou encore des racines mais c’est un matériel assez coûteux. On peut aussi utiliser une caméra thermique (infrarouge) pour détecter des infiltrations et fuites, notamment dans les murs.

L’humidimètre
Cette sonde permet d’avoir le taux d’humidité dans un matériau (un mur par exemple). Elle envoie une impulsion électromagnétique dans le mur et, selon le temps que l’impulsion met à revenir à l’appareil, celui-ci affiche le taux d’humidité. Si la zone est humide, le signal prend plus de temps à revenir que si elle est sèche. Pour des fuites sur les canalisations, cela va permettre, par comparaison entre les zones testées, de situer la fuite.
Et bien sûr, tous ces capteurs peuvent être équipés sur des drones flottants ou volants pour inspecter les réseaux d’assainissement 😉
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