Lu en 2023, 50 ans après sa première publication, extraordinaire !
Résumé :
Les crises actuelles et à venir sont le résultat d’un système industrialisé qui a passé des seuils critiques de perversion dans plusieurs domaines institutionnalisés : l’éducation, la médecine, les transports, la politique et bien sûr l’outil de travail qui asservit l’homme plutôt que de stimuler sa créativité et de l’émanciper. Ces seuils critiques, alliés à certains dogmes à la peau dure comme celui de la croissance éternelle, de la science toute-puissante ou de la natalité incontrôlée nous empêchent d’envisager un mode de vie post-industriel tenable dans les limites planétaires.
Extraits et idées :
Au stade avancé de la production de masse, une société produit sa propre destruction. La nature est dénaturée. L’homme déraciné, castré dans sa créativité, est verrouillé dans sa capsule individuelle. La collectivité est régie par le jeu combiné d’une polarisation exacerbée et d’une spécialisation à outrance. Le souci de toujours renouveler modèles et marchandises – usure rongeuse du tissu social – produit une accélération du changement qui ruine le recours au précédent comme guide de l’action. Le monopole du mode industriel de production fait des hommes la matière première que travaille l’outil. Et cela n’est plus supportable. Peu importe qu’il s’agisse d’un monopole privé ou public : la dégradation de la nature, la destruction des liens sociaux, la désintégration de l’homme ne pourront jamais servir le peuple.
On a du mal à imaginer une société où l’organisation industrielle serait équilibrée et compensée par des modes de production complémentaires, distincts et de haut rendement. Nous sommes tellement déformés par les habitudes industrielles que nous n’osons plus envisager le champ des possibles ; pour nous, renoncer à la production de masse, cela veut dire retourner aux chaînes du passé, ou reprendre l’utopie du bon sauvage.
Il existe non pas une façon d’utiliser les découvertes scientifiques mais au moins deux qui sont antinomiques. Il y a un usage de la découverte qui conduit à la spécialisation des tâches, à l’institutionnalisation des valeurs, à la centralisation du pouvoir [technocratie ?]. L’homme devient l’accessoire de la méga-machine, un rouage de la bureaucratie. Mais il existe une seconde façon de faire fructifier l’invention, qui accroît le pouvoir et le savoir de chacun, lui permet d’exercer sa créativité, à seule charge de ne pas empiéter sur ce même pouvoir chez autrui.
Si nous voulons [] dessiner les contours théoriques d’une société à venir qui ne soit pas hyper-industrielle, il nous faut reconnaître l’existence d’échelles et de limites naturelles dans une conception multidimensionnelle de la vie.
Passé un certain seuil, l’outil, de serviteur, devient despote. J’appelle « société conviviale » une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil.
1er exemple du dévoiement industriel de la médecine : Au début du siècle (20ème), la pratique médicale s’est engagée dans la vérification scientifique de ses résultats empiriques, c’est le premier seuil. A partir de là, on mesure tout, c’est le médecin qui dit à quelle heure on est mort, quel est le taux de réussite minimum pour qu’un médicament soit délivré, etc. Le second seuil tient à l’hyper-spécialisation (seul le corps médical peut soigner, lui et les professions associées qui soulagent le mal-être sans y apporter de solution, ex : kiné VS ostéo) : quand l’utilité de la médecine se met à décroître en termes de bien-être (les traitements génèrent de nouvelles maladies). La médecine industrialisée, disponible seulement pour les + riches (USA…), génère davantage de souffrances. Tout enfant né à l’hôpital est considéré comme un patient à vie. C’est l’ère des drogues publiques et du coût médical débridé pour l’individu et la société.
Dans un premier temps, on applique un nouveau savoir à la solution d’un problème clairement défini et des critères scientifiques permettent de mesurer le gain d’efficience obtenu. Mais, dans un deuxième temps, le progrès réalisé devient un moyen d’exploiter l’ensemble du corps social, de le mettre au service des valeurs qu’une élite spécialisée, garante de sa propre valeur, détermine et révise sans cesse.
2ème exemple : dans le cas des transports, il a fallu un siècle pour passer de la libération par les véhicules à moteur à l’esclavage de la voiture. Depuis qu’elle a passé le second seuil, les véhicules créent plus de distances qu’ils n’en suppriment et la société consacre de plus en plus de temps à la circulation qui est supposée lui en faire gagner (1500h/an consacrées à la voiture par un américain en coût pour faire 10 000 km, soit 6km/h !).
En une décennie, plusieurs institutions dominantes ont, ensemble, sauté gaillardement le second seuil. L’école n’est plus un bon outil d’éducation, ni la voiture un bon outil de transport, ni la chaîne de montage un mode acceptable de production. L’école produit des cancres et la vitesse dévore le temps.
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